Par Julien Ravello
Je voudrais d’abord remercier les rapporteurs et dire que le groupe VIE! partage complètement ce qui a été présenté par Monsieur Garabedian et Madame Gorriquer. En particulier l’impact du chômage sur la santé.
Un demandeur d’emploi aurait trois fois plus de risques de mourir qu’un actif. Car quand on perd son travail, quand on n’a plus de revenus, comment accomplir les actes les plus vitaux qui soient ? Comment se soigner, se laver, se loger, s’habiller, se nourrir ? Déjà appauvri et dévalorisé, le demandeur d’emploi est souvent rendu responsable de sa situation et stigmatisé, réduit au statut d’« assisté ».
Selon l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 : « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage »
C’est le sens de l’expérimentation connue sous le nom de Territoire Zéro Chômeur Longue Durée. On pourrait aller plus loin en parlant de garantie d’emploi avec l’État employeur en dernier ressort.
L’expérience des « territoires zéro chômeur de longue durée » offre un premier aperçu d’une telle garantie de l’emploi. Ce qui manque, c’est l’emploi tel que le définit le marché, c’est à dire le travail qui valorise le capital. Car rappelons que le chômage n’est jamais lié à une pénurie de travail, qui existe en quantité inépuisable, mais à un manque d’emplois.
Territoire zéro chômeur, c’est donc une protection contre le marché du travail ; c’est la garantie d’un emploi en CDI, qui, de surcroît, remplira des besoins non couverts par le marché, mais j’y reviendrai.
Cette idée permet un changement dans la manière d’envisager les politiques d’emploi et d’insertion. Au lieu de les penser comme un marché où l’offre et la demande se rencontrent (et dans les faits, on voit bien que cette logique économique ne fonctionne pas vraiment), c’est la personne privée d’emploi qui est mise au centre du dispositif.
Le dispositif TZCLD a de nombreuses vertus. Il identifie sur un territoire les personnes privées durablement d’emploi, et les besoins non remplis par les collectivités locales et les entreprises privées, souvent par manque d’argent pour les premières ou par manque de rentabilité pour les secondes. Il permet de redonner de la dignité aux demandeurs d’emplois, et de donner du temps aux gens pour se reconstruire, se stabiliser, de créer de nouveaux métiers utiles pour la société et pour la bifurcation écologique.
Les premiers gagnants sont donc ceux qui tentent de s’intégrer sur le marché de l’emploi mais n’y parviennent pas : seniors, chômeurs de longue durée, femmes subissant des temps partiels contraints, exilés, personnes subissant des discriminations ethno-raciales, religieuses ou encore personnes handicapées. Avec un revenu, des savoir-faire et de l’intégration sociale, beaucoup retrouvent alors confiance en eux et échappent au déclassement lié au chômage.
Ceci étant dit, notre majorité doit être intransigeante sur certains points.
Pour que ce dispositif fonctionne, la clé est sa gouvernance, qui repose sur des comités locaux de l’emploi, vous l’avez dit monsieur le rapporteur, et qui associentles personnes privées durablement d’emploi, les collectivités locales, le service public de l’emploi, les citoyens, les associations, les élus et les entreprises. Cet aspect est fondamental et ces comités doivent avoir une place prépondérante.
Pour que ce dispositif fonctionne, les entreprises à but d’emploi doivent respecter le droit du travail. Nous devons être extrêmement vigilants sur ce point. Les règles de management libéral et du monde de l’entreprise ne doivent pas s’appliquer dans les entreprises à but d’emploi. La liberté syndicale, des conditions de travail dignes, le respect et l’écoute sont primordiales. Ce n’est pas parce que les gens ont un CDI alors qu’ils étaient éloignés de l’emploi qu’ils doivent être moins bien traités, au contraire. De la même manière, la formation doit être au cœur du dispositif.
Pour que ce dispositif fonctionne, nous devons refuser que les activités et missions de ces entreprises à but d’emploi ne se transforment en sous-traitance déguisée pour des entreprises privées, quand ce sont des missions qu’elles pourraient faire faire par des salariés qu’elles payeraient elles-mêmes et qui n’apportent aucune utilité sociale ou écologique.
Pour que ce dispositif fonctionne, enfin, nous devons être aussi vigilants à ce que ces emplois ne remplacent pas des activités qui devraient être assurées par le service public. Ce dispositif est un révélateur des besoins du territoire, mais montre également l’absence de services publics dans certains quartiers, et nous pointons ici le désengagement de l’Etat qui y est pour beaucoup. Nous ne pouvons pas accepter que des emplois de fonctionnaires soient remplacés par des emplois payés par la sécurité sociale.
Pour finir, nous souhaitons interpeller pour dire que les territoires zéro chômeur de longue durée sont une partie intéressante mais une partie seulement d’une politique plus globale à conduire pour l’économie et l’emploi.
Le chômage est avant tout une conséquence d’une organisation macro-économique, mondialisée et néo-libérale. Tant que nous n’agirons pas à ce niveau institutionnel, national, européen, mondial, nous ne pourrons que mettre des pansements sur des jambes de bois.
Nous soutenons par exemple au niveau national une augmentation du SMIC à 1400 euros nets au niveau national, la mise en place d’une sécurité sociale professionnelle, le blocage des prix de produits de première nécessité, le protectionnisme solidaire, la fin des traités de libre-échanges, la diminution du temps de travail, la réindustrialisation d’activités avec une planification écologique des emplois… Bref, une politique économique globale permettant de lutter contre le chômage de longue durée, où la garantie d’emploi en dernier ressort, est l’un des outils.
Nous sommes donc favorables à ces 3 délibérations pour poursuivre Territoire zéro chômeur longue durée et lancer le nouveau territoire des Brosses, car il s’agit d’un outil pertinent (parmi d’autres) pour redonner espoir à des personnes accidentées de la vie. Mais nous serons vigilants et intransigeants, notre groupe et les adjoints qui ont présenté les délibérations et qui sont également membres de notre groupe, pour que les objectifs et ambitions ne soient pas contournés, dévoyés pour remplacer des services publics, et pour que l’on respecte à la fois le droit du travail et le droit au travail.
Bravo vous avez vraiment cerné les tenants et aboutissants du problème Zéro chômeurs pour ne pas laisser croire que cette disposition va résoudre le chômage. Et merci pour les intransigeances affirmées.
Denise
E! villeurbanne