Par Julien RAVELLO
1945 et 2025, deux dates pour deux époques. 1945 d’abord, avec la naissance d’Alain Gilles, qui fait rayonner le basket villeurbannais en offrant ses titres de champions de France à l’ASVEL. Il incarne comme d’autres avant lui une époque où les joueurs étaient issus de la région et où leur performance était guidée par le plaisir de jouer.
2025, aujourd’hui. Le marché s’est enraciné jusque dans le sport ; les joueurs et clubs se vendent et s’achètent comme des petits pains. L’ASVEL n’y a bien sûr pas échappé. Avec ses millions en poche, l’investisseur Tony Parker compte bien en faire un produit qui rapporte beaucoup.
Voilà où nous en sommes. Et maintenant, nous devrions encourager la marchandisation de l’ASVEL en organisant celle de sa salle, notre bien public qu’est l’Astroballe ?
C’est ce que vous nous demandez avec la constitution d’une SEMOP, dans laquelle la ville sera minoritaire, vous l’avez rappelé. Premier inconvénient : 150 000 euros seront versés aux entreprises non retenues dans le processus de désignation, même si la SEMOP ne va pas à son terme. Deuxième inconvénient : pas de marchés publics une fois la SEMOP créée, donc moins de transparence. Troisième et énièmes inconvénients : la suite de l’intervention.
Aucun investisseur de l’événementiel ne voudra rejoindre la SEMOP sans rentabilité. Leur intérêt n’est pas l’intérêt général ; leur intérêt, c’est de faire de l’argent. Sera-t-il encore possible de proposer des tarifs sociaux ? Avec quel type de programmation l’actionnaire voudra-t-il garantir sa rentabilité ? Réussirons-nous, par exemple, à imposer des compétitions sportives féminines, moins rentables que celles des hommes ? Pourrons-nous encore changer de politique culturelle et sportive dans 10 ans, une fois le pacte d’actionnaire signé face à un géant de l’événementiel ? Leur permettre d’investir dans l’Astroballe, c’est nous mettre à nous-même une laisse.
Nous voulons que l’ASVEL reste à Villeurbanne. Mais n’est-ce pas un vœu pieu ? La rénovation de l’Astroballe va-t-elle convaincre Tony Parker de relocaliser ses matchs à Villeurbanne ? Aujourd’hui, les stades prennent le nom de marques – pensez au Groupama Stadium de Décines – comme les championnats (voyez le championnat de basket français, que nous devons désormais appeler « Betclic Elite », une entreprise de paris en ligne…). Ce qui compte, c’est de vendre à l’international des droits de télévision et de faire de la publicité pour des marques partenaires. Notre poids en tant que municipalité, c’est peanuts. L’ancrage local de l’ASVEL s’étiole comme une peau de chagrin, et l’arrivée d’un géant de l’événementiel à l’Astroballe ne fera que renforcer cela.
Tant que c’est encore possible, nous devrions toutes et tous nous opposer au sport et à la culture business promues par ce type d’industrie. Alors qu’elles veulent marchandiser chaque sphère de nos vies (culture, sport, loisirs, et même amour !), nous devrions au contraire promouvoir le sport et la culture non-marchands et pour toutes et tous.
En parlant d’amour, un an de réflexion pour 30 ans d’engagement, cela nous paraît un peu court ; et ce d’autant plus que ce mariage n’était pas prévu dans notre programme. Quelle légitimité avons-nous à prendre une décision si importante, à un an des élections municipales, sans que les villeurbannaises et villeurbannais n’aient pu réfléchir à la question ? Il y a certes des concertations en cours pour envisager l’avenir du quartier Bonnevay, mais rien de spécifique à l’Astroballe, et encore moins à une SEMOP.
Encore un dernier point. Les concerts et autres événements d’ampleur ne sont pas écologiquement soutenables. Les soirs de match, le quartier est déjà encombré de voitures. Qui peut croire qu’une salle de 6000 places n’amplifiera pas le phénomène ?
Une fois qu’on a dit tout ça, nous le réaffirmons : nous sommes bien sûr pour la rénovation de Bonnevay ! Une rénovation pour répondre au sentiment d’abandon, pour donner un nouveau souffle au quartier ; une rénovation discutée et décidée d’abord avec ses habitantes et ses habitants, son conseil de quartier, ses associations ; bref, une rénovation pour les villeurbannaises et les villeurbannais.
D’ailleurs, il y a déjà des choses en cours : les travaux du centre nautique Etienne Gagnaire ; l’appel à manifestation d’intérêt dans le secteur Lyvet, pour une occupation temporaire des bâtiments. Et des réflexions à approfondir, notamment sur le devenir du Célibatorium, le réaménagement des berges, ou encore le franchissement du périphérique.
Ce quartier, on y croit !
Nous devons sortir du « comment », centré sur la technique, et revenir au « pourquoi » en élargissant notre regard. Rénover l’Astroballe, pour quoi faire ? Pour qui ?
Nous voulons prendre le temps. Prendre le temps, avec les habitantes et habitants, de réfléchir à l’avenir de l’Astroballe. Comment ne pas les en déposséder ? Comment faire en sorte que cet équipement continue d’appartenir à l’histoire villeurbannaise ? Quelle serait la meilleure solution, qui corresponde aux orientations écologiques, démocratiques et sociales que nous essayons de mettre en œuvre depuis cinq ans ?
Plutôt que d’aller vers la facilité, faisons fonctionner l’intelligence collective. Rien que dans notre groupe, des idées pour l’avenir de l’Astroballe, avec les contraintes budgétaires que l’on sait, ont émergé à force de discussions ; imaginez cela à l’échelle du quartier, de la ville ? Pourquoi aller si vite, quelle est l’urgence ? Comme nous l’avions noté dans notre plan de mandat, pourquoi n’avons-nous pas fait appel à un jury citoyen pour ce projet ? Pourquoi ne pas impliquer le tissu associatif, sportif et culturel, qui ne manque pas à Villeurbanne ?
Ces discussions à grande échelle permettraient de décider de ce qu’on veut vraiment faire de ce bâtiment. Il faut avoir en tête que l’Astroballe telle qu’on la connaît n’existera plus vraiment à la suite des travaux prévus par la SEMOP.
Toutes nos réflexions aboutissent à ce choix : nous voterons contre ce rapport. Nous espérons que vous nous suivrez dans cette voie, pour laisser le temps de construire démocratiquement un réel projet pour l’Astroballe.