Par Olivier Glück
Tous les ans à cette époque, nous tenons ce débat d’orientation budgétaire. Au-delà de son obligation légale, même s’il revêt souvent un caractère technique, c’est un exercice de transparence essentiel que nous devons aux villeurbannaises et villeurbannais.
Nous sommes à un tournant budgétaire de notre mandat municipal. Après trois ans d’augmentation importante mais assumée de nos dépenses de fonctionnement et d’investissement, également associée à une hausse des recettes, il nous faut continuer à investir pour développer les services publics tout en étant vigilants quant à la trajectoire budgétaire pluriannuelle , et cela afin de ne pas obérer les capacités de la ville à continuer d’investir dans le futur.
En responsabilité, nos choix politiques n’ont pas changé. Mais des facteurs externes non prévisibles en 2020 nous obligent à davantage de vigilance : après les épisodes liés au COVID entre 2020 et 2022, nous voilà maintenant confronté·es depuis plusieurs mois à une inflation très élevée.
Notre choix politique a été d’investir fortement dans le développement des services publics en renforçant les services existants et en créant de nouveaux équipements : des écoles, des parcs et jardins, des équipements pour la petite enfance ou pour le sport étaient en manque manifeste dans certains quartiers. Notre ville nécessite des évolutions coûteuses liées aux transitions écologique, sociale et démocratique que nous portons. Par exemple, l’isolation des bâtiments publics, la dé-imperméabilisation des sols, la végétalisation, l’évolution des mobilités sont autant de sujets essentiels pour adapter la ville et faire qu’elle reste habitable dans le futur. Tout cela s’est accompagné de nombreuses créations de postes, 250 en trois ans, et d’une politique volontariste en matière de ressources humaines.
Ces choix politiques forts expliquent pourquoi nos dépenses de fonctionnement ont augmenté de près de 20% en trois ans. Cette augmentation est à relativiser car un rattrapage devait s’opérer pour faire face à l’augmentation importante de la population et pour être au niveau des villes équivalentes. Les dépenses réelles de fonctionnement de Villeurbanne se sont élevées à 968 € par habitant en 2022. La moyenne des villes de même strate, qui n’ont pas toutes une population croissante comme la nôtre, est de 1 214 €.
Les dépenses d’investissements sont quant à elles passées de 35 M€ en 2020 à 56 M€ en 2022. A titre d’exemple, les dépenses d’équipement brut par habitant sont passées de 175 € en 2020 à 334 € en 2022.
Ces choix politiques ont été faits en responsabilité et ont été rendus possibles par une forte hausse également des recettes de fonctionnement de +15% depuis le début du mandat.
Néanmoins, la mobilisation de l’emprunt a été nécessaire mais raisonnable. Le niveau d’endettement est passé de 34 M€ en 2020 à 50 M€ en 2022 soit une dette de 326 € par habitant. Le taux d’endettement, c’est-à-dire la dette rapportée aux recettes réelles de fonctionnement reste maîtrisé à 28% alors qu’il est de 76% pour les communes de la strate. Les intérêts de la dette repartent légèrement à la hausse mais ils restent contenus.
Le contexte inflationniste depuis plus d’un an suite en particulier à l’agression de l’Ukraine par la Russie nous conduit maintenant à devoir soutenir une augmentation inédite et imprévisible des dépenses contraintes liées à la conjoncture économique.
L’Inflation, proche de 7% en 2022, s’établirait à 6% en 2023 et devrait rester supérieure à 3% en 2024. Certains secteurs comme l’énergie, l’alimentation ou les opérations de travaux impactent très fortement le budget de la ville avec des augmentations supérieures à 10%.
Typiquement, le coût des fluides augmenterait de plus de 30% en 2024 soit un surcoût de 2 M€ relativement à 2023 qui avait déjà vu une hausse de 38% des coûts malgré les mesures de sobriété énergétique prises l’an dernier. Ces mesures d’économie d’énergie grâce aux efforts quotidiens des personnels municipaux et des usagers des équipements publics doivent se poursuivre : c’est bon pour les finances de la ville mais aussi pour la planète.
La masse salariale est elle aussi en forte hausse du fait de décisions prises par l’État sans compensation financière, nous y reviendrons. L’augmentation du point d’indice à deux reprises, +3,5% en 2022 et +1,5% en 2023 représentent un coût de 5 M€ en année pleine. A cela s’ajoutent en 2023 d’autres revalorisations indiciaires pour un montant proche de 1,5 M€.
Toutes ces mesures prises par l’État sont justifiées et restent insuffisantes relativement au pouvoir d’achat du personnel municipal. Je ne reviens pas sur les raisons qui nous ont conduit à voter tout à l’heure une prime exceptionnelle pouvoir d’achat.
Les effets de l’inflation et du point d’indice pèsent seuls plus de 10 millions d’euros de dépenses contraintes supplémentaires.
Une autre dépense supplémentaire contrainte est liée à l’augmentation des taux d’intérêt qui étaient de 0,55% à 15 ans en 2020, et à plus de 3% à 10 ans fin 2022. Nous subissons également une augmentation de la charge foncière et une très forte hausse des coûts de construction entre 2022 et 2023.
Parallèlement, nos recettes se contractent. Un ralentissement de l’économie est à craindre pour 2024. La hausse des taux d’intérêts ralentit très fortement le marché de l’immobilier, provoquant une baisse des droits de mutation. Sur la base constatée cette année, il faut anticiper une baisse de près de 3 M€ en 2024 relativement à 2022.
Mais surtout, alors que la situation économique est défavorable, l’État n’est pas au rendez-vous !
Les dotations et compensations de l’État sont en forte baisse depuis 2013. La dotation forfaitaire a diminué de plus de 7 M€ entre 2013 et 2022 alors que la population a augmenté de plus de 7% sur la même période. Nous payons encore aujourd’hui les plans d’austérité successifs imposés par l’État principalement entre 2014 et 2017. Villeurbanne reste mal dotée relativement aux communes de la strate puisque la dotation globale de fonctionnement est proche de 125 euros par habitant en 2022 alors qu’elle est de 214 euros au niveau national.
Un autre indicateur révélateur du désengagement de l’État est la part des dotations et compensations de l’État dans les recettes réelles de la ville hors cessions : elle était proche de 22% en 2009 et ne représente plus que 12% en 2022.
Il ne devrait pas y avoir de bonnes nouvelles dans le projet de loi de finance 2024 alors qu’une mesure de bon sens serait a minima d’indexer la dotation aux collectivités territoriales sur l’inflation. Sans cela, c’est in fine une perte de ressources pour les collectivités.
Fort heureusement, à ce jour, le Sénat résiste face au gouvernement pour ne pas imposer aux collectivités locales des pactes dit « de confiance » qui sont en réalité de nouvelles mesures d’austérité imposant à certaines collectivités de limiter la hausse les dépenses de fonctionnement à 0,5 point en dessous de l’inflation.
C’est tout le contraire qu’il faut faire ! Pour faire face à la conjoncture économique, pour amplifier la transition écologique, pour soutenir l’économie – notamment le bâtiment par l’achat public – il faut donner aux collectivités territoriales les capacités d’investir et d’accompagner les mutations qui s’imposent. Rappelons que les collectivités sont le principal moteur de l’investissement.
Au niveau des recettes, la collectivité ne dispose principalement que de deux leviers.
Le premier concerne la tarification des services publics rendus à la population.
Ce chapitre varie de 7 à 8 M€ selon la fréquentation des services publics et les demandes d’utilisation du domaine public. Un travail important a été fait l’an dernier pour revoir la tarification de nombreux services publics dans le but de prendre en compte les effets de l’inflation et d’améliorer le caractère social de notre politique tarifaire basée sur le quotient familial en intégrant davantage de progressivité.
Le seul levier restant à notre disposition est le levier fiscal, réduit désormais à la seule taxe foncière et, pour un très faible montant, la taxe d’habitation sur les résidences secondaires.
C’est l’hypocrisie de la soi-disante décentralisation et libre administration des collectivités qui consiste à ce que l’État transfère des compétences aux collectivités, décide pour elles d’un certain nombre de mesures sans compensation financière. Les exemples récents de mesures salariales sont très impactant budgétairement et entièrement à la charge de la collectivité pendant que l’État réduit les dotations et limite les leviers permettant d’augmenter les recettes.
Un autre exemple réside dans l’article 6 du projet de loi de finances 2024, une très bonne mesure qui prévoit l’exonération de la taxe foncière bâtie pour les logements sociaux anciens faisant l’objet d’une rénovation thermique. Mais là aussi, il s’agit d’une perte de recettes sans aucune compensation.
A ce stade de mi-mandat, étant donné la conjecture économique et le manque de soutien de l’État mais aussi la nécessité de préserver les capacités d’investissement de la ville, nous sommes malheureusement contraints, comme beaucoup d’autres municipalités, de proposer une augmentation de la part communale de la taxe foncière et de la taxe d’habitation des résidences secondaires à hauteur de 10%.
Cette mesure augmenterait les recettes fiscales prévisionnelles de 116 M€ aujourd’hui à 124 M€ soit +8 M€. Pour mémoire les deux dernières hausses de fiscalité datent de 2018 et 2009.
Cette hausse de 10% de la part communale des taxes compenserait à peine les effets exogènes que nous venons de détailler : inflation et mesures salariales sur 2023 et 2024, alors que nous avions réussi à absorber les effets conjoncturels en 2021 et 2022 sans activer le levier fiscal.
Toutes les collectivités sont confrontées à une même conjoncture économique défavorable qui les conduit soit à s’endetter, soit à activer le levier fiscal, soit à couper les investissements, parfois les trois à la fois. Notre choix est d’activer le levier fiscal dans des proportions raisonnables tout en gardant un niveau d’investissement élevé en s’appuyant sur un endettement qui reste maîtrisé.
Nous sommes conscients et conscientes que l’activation du levier fiscal va être difficile pour une partie de nos concitoyens car il n’y a pas que des propriétaires riches à Villeurbanne. Mais c’est une nécessité conjoncturelle pour maintenir des services publics et des équipements à la hauteur des attentes de la population, sans obérer les investissements dans la future décennie : c’est notre cap, nous le maintenons.