Par Agathe FORT
Chers collègues, Mesdames et Messieurs, je vous présente aujourd’hui le rapport annuel de la Ville de Villeurbanne en matière de lutte contre les discriminations.
L’importance de visibiliser ces sujets à Villeurbanne est l’un des enjeux de ce rapport, mais aussi de rendre des comptes : Comment ? Quels résultats ? Pour ouvrir le champ du débat, de la critique et du conseil. C’est une exigence démocratique et sociale qui s’inscrit dans l’objet de la lutte contre les discriminations.
Tout au long de l’année, et comme nous construisons cette politique de lutte contre les discriminations à Villeurbanne, nous avons prêté une attention accrue au croisement des discriminations entre elles, mais également avec les inégalités socioéconomiques. Plutôt que d’avoir une entrée par thématique qui pourrait opposer les discriminations entre elles, nous avons une réflexion par objectif.
D’abord, observer, se former et former, et ensuite, agir pour changer. En collaboration étroite avec les associations de personnes concernées, nous avons pu ainsi avancer sur tous les fronts de l’égalité sans céder de terrain. Cette année 2022 nous a ouvert des opportunités dans le monde de la culture, avec Capitale française de la culture, et elle signe la fin d’un projet original et novateur de plusieurs années, Discri-O, sur lequel je reviendrai.
Tout d’abord, observer. L’observatoire des discriminations est composé de la déléguée du Défenseur des droits, d’une avocate de l’association Réaji et du réseau de vigilance villeurbannais. Cette année, 54 % des situations de discrimination traitées à Villeurbanne étaient des discriminations ethnoraciales, en particulier pour l’accès à l’emploi, au logement social et aux prestations sociales. Pour les discriminations liées aux convictions religieuses, elles concernaient principalement les femmes musulmanes portant le foulard, dans l’accès à l’emploi et la formation. Je crois qu’il est important de souligner ces chiffres. Autre chiffre important à soulever, les situations liées aux discriminations dans le champ du handicap et de l’état de santé représentent 22 % des situations traitées. Enfin, les situations traitant du sexe et de l’état de grossesse représentent 12 % .
Vous pouvez avoir plus de précisions de cet observatoire dans le rapport sur table, qui sera mis à disposition de toutes les personnes qui le souhaitent.
Pour continuer à observer, nous avons le rapport de situation comparée, qui doit analyser les données sexuées. C’est une obligation légale. À Villeurbanne, nous avons fait le choix d’élargir les critères à l’ensemble des discriminations. Parmi les chiffres notables, nous repérons encore un écart de salaire, à temps complet et grade égal, de 10,9 % entre les femmes et les hommes. Ces 10,9 % ne sont toujours pas expliqués. Nous continuerons à chercher pourquoi, et à traiter cette inégalité.
Dans le cadre de notre plan d’égalité interne, comme je vous le disais, nous élargissons les données à tous les critères de discrimination. Les données sont en train d’être analysées par un prestataire et nous pourrons revenir en début d’année 2023 pour vous donner des précisions sur l’ensemble de ces données. Nous nous appuierons sur cette analyse pour travailler avec la commission contributive interne pour l’égalité et la non-discrimination. Cette commission, mise en place en avril, va nous permettre d’associer le personnel, mais aussi d’avoir des personnes concernées au sein la collectivité. Cela participe à l’enjeu démocratique de la lutte contre les discriminations.
En parallèle de ce travail, nous sommes en train de finaliser une enquête interne, tant quantitative que qualitative, sur les discriminations et les comportements LGBT-phobes au sein de la collectivité. Les premières données nous montrent des formes multiples de comportements et discriminations LGBT-phobes, allant de la blague aux rumeurs, à l’outing forcé. Nous formulerons des préconisations et élaborerons un protocole d’intervention en cas de comportement ou discrimination LGBT-phobe.
Notre deuxième axe est se former et former. Nous continuons le grand plan de formation des agents et des agentes de la collectivité sur l’ensemble des discriminations, notamment accueillir sans discriminer. Nous avons cette année commencé un focus sur les LGBT-phobies dans le cadre de la convention et du plan d’action contre les violences LGBT-phobes, dans lequel nous sommes engagés avec la préfecture. Nous avons aussi continué les stages d’autodéfense féministe pour les agentes de la collectivité.
Nous avons fait cette année un focus particulier sur les violences subies par les femmes en situation de handicap, qui restent un point aveugle des politiques publiques, avec deux temps forts. Une webconférence par Johanna DAGORN, sociologue à l’université de Bordeaux, lors de laquelle elle a présenté son étude inédite auprès des femmes handis. On y comprend l’intensité des violences dans toutes les sphères de la vie et les nombreuses formes de résistance qu’elles déploient. Cette webconférence a été particulièrement marquante. Sur ce même thème, nous avons fait un séminaire sur les discriminations à l’emploi des femmes handis, avec Anaïs CHOULET-VALLET, doctorante et membre du réseau de recherche handi-féministe, et différents partenaires locaux, afin de partager les constats et les bonnes pratiques, et construire des solutions contre ces violences et ces discriminations à l’emploi.
Nous avons également formé la mission locale, les partenaires du réseau de vigilance, les entreprises ayant signé la charte des 1 000. Nous avons fait un temps de présentation du rapport sur les discriminations vécues par les jeunes, rapport fait par la Défenseure des droits. Cette présentation a été faite en présence de Georges PAU LANGEVIN, adjointe de la Défenseure des droits. Cela nous a permis de parler de ces discriminations vécues par les jeunes à un bon nombre de partenaires de la Ville.
Enfin, nous avons pu faire une performance conférence autour de l’ouvrage « Exploser le plafond de verre », de Reine PRAT. Le sous-titre de cet ouvrage est « Précis de féminisme à l’usage du monde de la culture ». Les discriminations genrées dans le monde de la culture sont encore omniprésentes et l’occasion d’être la première capitale française de la culture nous a permis de parler de cela et de faire de la sensibilisation auprès de nos partenaires dans le monde de la culture.
Une fois que l’on a visibilisé, pu comprendre et se former sur le sujet des discriminations, il est important d’agir. CFC 2022 a été un levier pour renforcer nos actions dans le monde de la culture. Nous étions déjà en action, mais cette année, nous avons enclenché la vitesse supérieure, avec la création d’un vade-mecum « égalité et non-discrimination », qui présente le cadre légal, les ressources ainsi que la méthode de travail en matière de lutte contre les discriminations, dont un autodiagnostic, mais aussi un groupe de travail sur la lutte et la prévention des violences sexuelles et à caractère discriminatoire lors des événements culturels, comme les concerts et festivals.
Nous avons pu interroger la place des femmes dans l’espace public avec le spectacle Public.ques de la compagnie Acte. Et nous avons pu valoriser les femmes oubliées de l’Histoire avec l’association Si/si les femmes existent.
Nous avons travaillé avec la direction de la vie associative à un guide de l’association inclusive, réalisé cette année, dans lequel les questions de lutte contre les discriminations ont pu être intégrées. Cela va nous permettre d’accompagner les associations sur le travail de la lutte contre les discriminations.
Pour finir, je voudrais vous parler d’un projet novateur, dont j’ai parlé en introduction : le projet Discri-O. C’est un projet de lutte contre les discriminations multifactorielles à l’orientation scolaire de fin de troisième. Ce projet s’est étalé sur trois ans, de 2019 à 2022, dans le cadre du fonds d’expérimentation pour la jeunesse. C’était porté par la Ville et animé par l’inspection académique. Ce projet est suffisamment novateur pour que ce soit souligné. 275 personnes y ont été impliquées, avec notamment des professionnels de l’Éducation nationale et l’accompagnement scolaire, des parents d’élèves et des élèves. C’est bien l’ensemble des personnes agissant pendant cette orientation qui ont été formées, sensibilisées, et qui ont participé à cette recherche action.
Elles ont été impliquées à chaque étape de cette recherche action, avec notamment la mise en place de quatre groupes de recherche action qui ont pu travailler sur quatre thèmes : l’analyse des bulletins scolaires, les interactions entre professionnels de l’éducation et élèves, la parole des élèves sur les discriminations vécues, l’observation du dispositif d’orientation concertée.
On peut faire un focus sur les biais d’interactions entre les professionnels de l’éducation et les élèves. Des observations ont été menées au sein de diverses classes et ont montré de nombreux biais d’interactions selon le genre et l’origine supposée des élèves. On observe que les garçons d’origine extra-européenne font l’objet de plus d’interactions que les garçons d’origine européenne et les filles. Les garçons perçus comme d’origine extra-européenne concentrent les remarques négatives. De la part de celle-ci, sur l’ensemble des remarques qui les visent, c’est 65 %. Le chiffre est assez important pour qu’il puisse être souligné.
Ce qui est intéressant dans ce projet, c’est que les professionnels ont eux-mêmes défini les critères d’évaluation de leurs pratiques, pu juger leur conception et ce qui pouvait être étudié. Des suites sont en cours d’élaboration et pourront être données, comme de la formation, la poursuite de l’expérimentation sur les bulletins, la mise en place de groupes d’analyse de la pratique.
Ce qui est sûr, c’est que ce projet est à faire connaître, car il est innovant et extrêmement important. Notre école doit être le lieu d’une égalité, et pour l’instant, on se rend compte que, de façon involontaire, parfois invisible, les discriminations se produisent et il est important de lutter contre elles et que notre école soit bien un lieu d’égalité.
En conclusion, je voudrais ouvrir le chapitre du travail de l’année 2023. Le travail autour de la future maison de l’égalité et de la non-discrimination se poursuit, avec la concertation des associations, pour l’expérimentation hors les murs qui pourra débuter en 2023.
Mais aussi la relance du conseil consultatif de la lutte contre les discriminations ethnoraciales. Ce projet, qui nous tient tout particulièrement à cœur dans le contexte actuel, ne sera pas aisé. Les associations dans le champ de la lutte contre les discriminations ethnoraciales ont particulièrement été déstabilisées par la loi « séparatismes », qui a été utilisée à tort pour un grand nombre d’associations. Le racisme antimusulman et contre les personnes exilées est totalement décomplexé et son ampleur est très inquiétante. Les paroles prononcées sur les bancs de l’Assemblée nationale ces derniers jours sont l’exemple parfait de cette haine omniprésente.
Alors, comment redonner confiance avec 89 députés du Rassemblement National à l’Assemblée nationale ? Comment redonner confiance alors que le racisme a été instrumentalisé par une partie de nos politiciens et des médias pour attiser la peur et perpétuer le système néolibéral en place ? Que reste-t-il de la marche pour l’égalité de 1983 ? 2023 fêtera les 40 ans de cette marche, et ce sera pour nous l’occasion de renouveler nos politiques en la matière, qui étaient à l’origine de la lutte contre les discriminations à Villeurbanne il y a plus de 15 ans déjà.
Pour terminer, je voudrais vous partager une inquiétude. Nous allons cet hiver vers une exacerbation de la crise économique. Les moments de tensions qui nous attendent peuvent faire augmenter la haine, la peur et le rejet, comme souvent en temps de crise. L’Histoire nous l’a déjà montré. Mes sujets pourraient passer pour moins prioritaires et leur budget être sacrifié. Comme le dit Simone de Beauvoir, « n’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » Je crois que l’on peut ouvrir ces questions, cette citation, plus largement qu’aux droits des femmes, et aux droits de toutes les personnes concernées par les discriminations.
J’espère que nous traverserons ces temps difficiles en ayant toujours comme objectif nos idéaux d’égalité et de démocratie, et que l’entraide et la fraternité seront nos boussoles.