Par Olivier Glück
Je m’excuse par avance si mon intervention dépasse légèrement le temps imparti mais ce sujet grave du mal logement peut le justifier.
Il faut un logement décent et pérenne pour toutes et tous. Pour cela, il faut aussi résorber le sans-abrisme et l’habitat indigne, car aucune de ces situations n’est acceptable.
Le nombre de personnes qui en sont victimes est en constante augmentation. Fin 2020, la fondation Abbé Pierre comptait plus de 300 000 sans-abris, un chiffre qui a doublé depuis 2012, en moins de 10 ans. Entre 2007 et 2017, le nombre d’expulsions effectives avec le concours de la force publique a augmenté de 50% pour atteindre plus de 15 000 expulsions en 2017. Et l’on ne peut que craindre que ce nombre augmente fortement, puisque l’association Droit au Logement estime que 30 000 ménages, soit 66 000 personnes, deux fois plus qu’avant la crise sanitaire et économique, risquent l’expulsion de leur logement dès demain, du fait de la fin de la trêve hivernale ce 31 mai. Pour ce qui concerne l’habitat indigne, ce sont entre 900 000 et 1,3 millions de nos concitoyens qui sont concerné·e·s. Cela est à mettre en regard avec la pauvreté qui touchait déjà un français sur 10 en 2018. Plus de 9 millions de nos concitoyen.es vivent sous le seuil de pauvreté, près de 2 millions avec moins de 930 euros par mois. La grande pauvreté touche les chômeurs mais aussi des travailleurs pauvres qui comptent pour un tiers de la grande pauvreté : des ouvriers, des travailleurs à temps partiels. La crise dure, notamment, en raison du manque de logements sociaux : 20 000 autorisations de financement ont été accordées l’an dernier en Ile-de-France, quand il en faudrait 37 000 selon Droit au Logement.
Mais laissons de côté les chiffres, et parlons concret. Quel est le quotidien d’une personne qui vit dans un habitat indigne ? La toiture et les murs ne sont souvent pas étanches, et qui dit humidité dit moisissures. Les personnes doivent, quand elles en ont les moyens, repeindre régulièrement car sinon, les traînées noires et blanches formées par les champignons envahissent leurs murs. Les pièces ne sont pas isolées, et il n’y a parfois pas de chauffage, si bien que les températures sont polaires en hiver et brûlantes l’été. La plupart du temps, il n’y a pas de sanitaires, ou de très mauvaise qualité, et les habitants et habitantes doivent faire chauffer leur eau de toilette à la casserole. L’électricité aussi peut-être défectueuse et mettre en danger leur vie.
Obliger le propriétaire à faire des travaux ou aider à la rénovation de taudis, c’est donc bien sûr plus de confort, moins de maladies chroniques comme l’asthme, des factures abaissées, mais surtout des invitations à ses proches plus faciles, une dignité retrouvée.
Ces situations concernent majoritairement les personnes fragiles, pauvres, âgées ou sans papiers. Car l’absence de logement ou le mal logement, c’est une violence qui est faite à celui qui la subit, et cette violence, l’incertitude qu’elle fait naître, peut créer des drames humains. Comment les jeunes migrants peuvent-ils espérer construire leur vie lorsqu’ils se retrouvent isolés dans des hôtels ? Comment de jeunes migrants majeurs remis à la rue peuvent-ils espérer se stabiliser ?
Le mal logement ou l’absence de logement n’est que l’écho des inégalités toujours plus grandes dans notre monde, dans notre pays, dans notre ville. Nous devons lutter contre leur accroissement, contre la pauvreté et la misère qui en découlent.
Au niveau national, nous sommes pour la revalorisation du SMIC, des retraites, l’augmentation des effectifs de services publics pour garantir l’accès aux droits. À l’échelle de notre ville, nous allons augmenter le nombre d’agents du CCAS pour mieux accueillir nos concitoyens et concitoyennes.
Suite au week-end de mobilisation qui vient d’avoir lieu, nous saluons tous les collectifs et associations qui œuvrent pour le droit au logement, en particulier la Coordination d’actions pour le logement Lyon et environs (nommée CALLE) qui regroupe des professionnels et différents collectifs de défense du droit au logement.
Dans leur communiqué d’appel à la manifestation, ces collectifs signalent de larges pans de la population, les étudiant·es, les habitant·es des quartiers populaires, les personnes exilées, les habitant·es des lieux de vie informels (squats, bidonvilles, campements), et pleins d’autres ont vu leur situation se précariser, leur isolement s’accentuer, leurs conditions de vie se détériorer. Les chiffres du chômage et le nombre de bénéficiaires du RSA ne cessent d’augmenter. Le nombre de chômeurs a augmenté de plus de 10% dans le Rhône sur l’année 2020.
Durant l’automne et l’hiver, les associations ont noté un réel effort de la ville et de la métropole de Lyon, ainsi que de la préfecture du Rhône, avec une augmentation importante des places d’hébergement.
Nos politiques publiques doivent les soutenir encore et davantage. Des centaines de personnes n’ont pas trouvé de place dans le dispositif d’hébergement. Par exemple, Jamais sans toit fait état de 92 familles de la métropole de Lyon dont 289 enfants qui n’ont pas de solution. De leur côté, les collectifs créés autour des mineurs isolés et de l’ancien squat Maurice Scève interpellent la métropole au sujet des jeunes étrangers isolés, ces « mijeurs » dont la minorité fait débat. Depuis début mai, ceux-ci sont remis à la rue, s’ils sont considérés comme majeurs. Alors que depuis fin octobre la métropole les hébergeait à l’hôtel le temps de leur recours devant le juge des enfants. Comme au plus fort de la crise des mineurs non accompagnés, à l’été 2018, ces jeunes se retrouvent hébergés par des habitants. La métropole doit poursuivre son travail à travers ses politiques d’expérimentation. Vendredi en fin d’après-midi, dans le square Gustave Ferrié à Lyon, une vingtaine de tentes ont été installées pour mettre à l’abri 17 jeunes migrants qui n’ont pas été reconnus mineurs après le passage par l’évaluation de Forum réfugiés. Cette action, revendiquée par le collectif de soutien aux migrants de la Croix-Rousse, est amenée à durer jusqu’à ce que la métropole mais aussi la préfecture trouvent des solutions pour ces jeunes actuellement à la rue.
À l’échelle de la métropole, nous sommes très satisfaits de la mise en place du bail réel solidaire qui permet de mieux contrôler le foncier. La spéculation foncière dont sont victimes les grandes agglomérations fait s’envoler les prix, et s’ajoute à l’accroissement des inégalités. Lorsque son revenu diminue et que les prix à la location ou à l’achat augmentent, comment se loger ? Nous ne devons jamais nous féliciter de vendre plus cher un bien qu’on ne l’a acheté, quand nos propres enfants n’arrivent pas à trouver de logement où vivre.
Vous l’aurez compris, ce sujet essentiel et complexe nécessite la mobilisation de toutes et tous.
Je vais laisser les mots de la fin à un homme du XIXe siècle qui lui aussi, en son temps, a lutté contre la pauvreté et ses conséquences. La citation est extraite du discours à l’Assemblée nationale du 9 juillet 1849 ; il s’intitule “Détruire la misère” et c’est d’elle que Victor Hugo parle lorsqu’il énonce : « Remarquez-le bien, messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli ».